In Honor of the 113th Wedding Anniversary of Jeanne and André Salmon - July 13, 1909 - with Apollinaire's Famous Poem
Marie Laurencin, Portrait of Jeanne Salmon, 1923
Marie Laurencin, Portrait of André Salmon, 1942
Louis Marcoussis, Poème Lu au Mariage d'André Salmon, 1934
Dry point engraving, Musée de l'art moderne, Centre Pompidou
Poème lu au mariage d’André Salmon Guillaume Apollinaire (1880 – 1918)
Le 13 juillet 1909.
En voyant des drapeaux ce matin je ne me suis pas dit Voilà les riches vêtements des pauvres Ni la pudeur démocratique veut me voiler sa douleur Ni la liberté en honneur fait qu’on imite maintenant Les feuilles ô liberté végétale ô seule liberté terreste Ni les maisons flambent parce qu’on partira pour ne plus revenir Ni ces mains agitées travailleront demain pour nous tous Ni même on a pendu ceux qui ne savaient pas profiter de la vie Ni même on renouvelle le monde en reprenant la Bastille Je sais que seul le renouvellent ceux qui sont fondés en poésie On a pavoisé Paris parce que mon ami André Salmon s’y marie
Nous nous sommes rencontrés dans un caveau maudit Au temps de notre jeunesse Fumant tous deux et mal vêtus attendant l’aube Épris épris des même paroles dont il faudra changer le sens Trompés trompés pauvres petits et ne sachant pas encore rire La table et les deux verres devinrent un mourant qui nous jeta le dernier regard d’Orphée Les verres tombèrent se brisèrent Et nous apprîmes à rire Nous partîmes alors pèlerins de la perdition A travers les rues à travers les contrées à travers la raison Je le revis au bord du fleuve sur lequel flottait Ophélie Qui blanche flotte encore entre les nénuphars Il s’en allait au milieu des Hamlets blafards Sur la flûte jouant les airs de la folie Je le revis près d’un moujik mourant compter les béatitudes Je le revis faisant ceci ou cela en l’honneur des mêmes paroles Qui changent la face des enfants et je dis toutes ces choses Souvenir et Avenir parce que mon ami André Salmon se marie
Réjouissons-nous non pas parce que notre amitié a été le fleuve qui nous a fertilisés
Terrains riverains dont l’abondance est la nourriture que tous espèrent
Ni parce que nos verres nous jettent encore une fois le regard d’Orphée mourant Ni parce que nous avons tant grandi que beaucoup pourraient confondre nos yeux et les étoiles Ni parce que les drapeaux claquent aux fenêtre des citoyens qui sont contents depuis cent ans d’avoir la vie et de menues choses à défendre Ni parce que fondés en poésie nous avons des droits sur les paroles qui forment et défont l’Univers Ni parce que nous pouvons pleurer sans ridicule et que nous savons rire Ni parce que nous fumons et buvons comme autrefois Réjouissons-nous parce que directeur du feu et des poètes L’amour qui emplit ainsi que la lumière Tout le solide espace entre les étoiles et les planètes L’amour veut qu’aujourd’hui mon ami André Salmon se marie
From GUILLAUME APOLLINAIRE ET ANDRÉ SALMON SUR LE PONT DES REVIENS-T’EN
Author(s): Jacqueline Gojard
Source: Revue d'Histoire littéraire de la France , JANVIER-MARS 2021, 121e Année, No. 1
(JANVIER-MARS 2021), pp. 105-114
Published by: Classiques Garnier
Stable URL: https://www.jstor.org/stable/10.2307/26978619,
Professor Gojard nous explique:
Le «Poème lu au mariage d’André Salmon / le 13 juillet 190920 », domine
et achève cette période. N’ayant pas le sou, André a choisi cette date, pour
pouvoir danser toute la nuit sous les drapeaux de la fête nationale : inversant
le rapport de cause à effet, Apollinaire écrit : «On a pavoisé Paris parce que
mon ami André Salmon se marie »; et il affirme : «notre amitié a été le fleuve
qui nous a fertilisés ».
Elle conclut:
Aujourd’hui, cent ans après la mort d’Apollinaire, ce qui frappe, c’est la
solidité de l’œuvre et sa fécondité. Rien n’a prévalu contre le texte-fétiche qu’est
«Le Poème lu au mariage d’André Salmon». Et notre réception s’est enrichie,
en s’ouvrant à l’idée d’une génération d’artistes qui ont œuvré ensemble, et
chacun pour soi. Max Jacob en témoigne lorsqu’il répond, le 8 avril 1920,
à André Malraux qui l’interroge sur Le Manuscrit trouvé dans un chapeau
de Salmon. (51) C’est un «livre très ému, un peu nostalgique, avec cette grâce
spirituelle émanant de Salmon. À l’époque où presque tout ce livre fut écrit,
Apollinaire, Picasso, Salmon et moi, nous n’avions qu’une âme. Ce livre est
une époque, la mienne et celle de mes amis. ». (52) Propos confirmé par Picasso
s’entretenant avec Hélène Parmelin : «À cette époque nous n’avions pas d’autre
préoccupation que ce que nous faisions. Et tous les gens qui le faisaient ne
se voyaient qu’entre eux… Apollinaire, Max Jacob, Salmon… Pense, quelle
aristocratie ! » (53)
Notes:
51. Livre paru en 1919, à la Société littéraire de France, orné d’une quarantaine de dessins de
Pablo Picasso, dont Apollinaire a fait l’annonce, dans L’Europe nouvelle, le 4 mai 1918. Il a rappelé
à cette occasion que la première partie de l’ouvrage avait paru en 1905, dans une petite revue qui
n’eut que deux numéros sous deux titres différents, La Revue immoraliste ayant pris le titre «moins
agressif » de revue des Lettres modernes et précise : « C’est également dans cette revue que furent
publiés les premiers vers de Max Jacob» (Pr2, p. 1429). Le Manuscrit de Salmon, maintes fois réédité,
est aujourd’hui considéré comme son chef d’œuvre. Il a fait l’objet de plusieurs thèses soutenues en
France et en Italie, dont deux récemment.
52. Voir François de Saint-Chéron, «Cher Malraux! Deux lettres de Max Jacob à André Malraux»,
dans Les Cahiers de Max Jacob, no 15-16, Bray-en-Val, 2015, p. 20-21.
53. Hélène Parmelin, Picasso dit… suivi de Picasso sur la place, Paris, Les Belles Lettres,
2013, p. 95.
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